AU COEUR DES CARAVANES DE MIGRANT-E-S

Neuf heures vient de passer à Apizaco lorsqu’on entend siffler au loin la locomotive d’un train de marchandises. Alors que son convoi défile devant le centre de migrants, tout devient soudain silencieux et chaque tête se dévisse afin de scruter celui-ci minutieusement. 

Comment et où s’y accrocher afin de continuer le voyage ? Comment éviter la chute ? L’histoire du gamin de seize ans qui, il y a quelques semaines de ça a fait une chute mortelle, n’a pas finit de hanter les murs de la Sagrada Familia.

Oscar, un grand et solide vénézuélien qui a le sourire accroché au soleil, aide en cuisine aujourd’hui mais sera déjà à nouveau sur la route dès demain. Ici on ne peux que rester 3 jours maximum, c’est la règle.

Depuis son pays, il a marché, beaucoup marché. Après avoir traversé à pied durant plusieurs jours les montagnes qui séparent la Colombie du Panama, Oscar n’a cessé de grimper l’Amérique latine, comme on escalade un mont jusqu’à son sommet afin de trouver le Nirvana : New-York aux Etats-Unis.

Occupé à charcuter des légumes au-dessus de l’évier, son esprit s’abandonne et rêve à de fantastiques vacances européennes en compagnie de son épouse et de ses quatre enfants. Soudain, ses traits deviennent plus sérieux et ses songes se fanent et se perdent au milieu du labyrinthe impitoyable de l’immigration. La lune restera encore un bout de temps à sa place, c’est certain. 

Puis vient Francisco, la cinquantaine probablement, même s’il semble usé de partout. Ce Salvadorien craintif reste toujours à l’écart des autres, assis sur une chaise en plastique. Francisco vivait à Chicago puis s’est fait expulser par les autorités. Là-bas, il a vécu une abominable histoire une nuit où, dans une ruelle où il avait posé son sac pour la nuit, il a été attaqué par une meute de sales types en colère contre la vie. Il a reçu de violents coups sur le crâne et à la clavicule, il montre ses os, on ne peut que le croire sur parole.

Il est 14h00 et une responsable de la Sagrada Familia annonce que le repas va être servi. Francisco se lève péniblement et se place dans la file d’attente. Au menu : des haricots noirs, un peu de riz aux carottes et quelques biscuits. Le lendemain matin, il devra quitter le centre et se débrouiller seul mais échouera. Il réintégrera le centre deux jours plus tard, pour 24 heures cette fois-ci, c’est également la règle. 

Yolanda est une dame haïtienne qui tente désespérément de se faire comprendre en créole. Elle a le visage terne, les traits tirés et semble réfléchir en permanence. Elle explique avec beaucoup de difficultés à l’avocate du centre qu’un homme, qu’elle présente comme son petit ami, va venir la chercher. On ne saura jamais si Yolanda deviendra une épouse comblée ou si on la forcera à faire les cent pas sur un trottoir du continent.

Le voyage de Delmer, un jeune du Honduras, a subitement basculé en l’espace de quelques minutes. Son tort ? Appeler ses proches au pays afin de réclamer quelques Pesos pour la suite. Sa conversation a été interceptée par un compatriote malveillant qui l’a menacé durant la nuit. Apeuré, il veut que son cauchemar prenne fin sur le champ.

Sous bonne garde, Delmer est accompagné jusqu’au fourgon de l’immigration qui l’attend sur le bord de la route. Son chauffeur ne s’arrêtera pas jusqu’à la frontière guatémaltèque. Pour lui, le rêve américain prend fin, temporairement en tout cas. 

« Votre vie est-elle en danger ? ». « Avez-vous subi des traitements allant à l’encontre des Droits de l’homme ? ».  » Par le passé, vous êtes-vous déjà fait expulser d’un pays ? ». Omar, Francisco, Yolanda, Delmer et des centaines d’autres sont soumis, chaque semaine, à des questions telles que celles-ci.

Sur la route, du Sud du Costa Rica au Nord du Mexique, des centres comme la Sagrada Familia accueillent hommes, femmes et enfants. A pied, entassés dans une remorque ou accrochés à un train, toutes et tous ont choisi le même itinéraire : un chemin de croix et des prières communes avant de tenter d’exister sous la bannière aux cinquante étoiles.