CARNET DE BORD : Fenêtres sur l’Amazonie

1 juillet

Dans l’avion à destination d’Iquitos, nous survolons pour la toute première fois l’Amazonie. Une couverture d’arbres s’étend jusqu’à l’horizon. La vue est féérique. Mais très vite, plusieurs tâches d’apparence foncées, que nous prenons tout d’abord pour des lacs, se dessinent ça et là. Il s’agit d’importantes parcelles de forêt réduites à néant. Les forages pétroliers dans cette partie de l’Amazonie font ravage.

Iquitos, c’est presque un demi million d’âmes qui gravitent au bord du grand Amazone et de deux autres affluents. On se demande par quel prodige la plus grande agglomération au monde non accessible par la route a pu se développer ainsi. On se demande aussi comment autant de tuktuks et autres motos ont réussi à procréer ici. Iquitos est une fourmilière humide coupée du reste du monde. 

2 juillet 

Nous décidons de remonter l’Amazone en bateau en deux étapes. La première, jusqu’à Lagunas, durera un jour et deux nuits. De là, nous gagnerons la réserve de Pacaya Samiria. La seconde nous permettra de rejoindre le nord du pays via Yurimaguas et Tarapoto.

Il est midi et une poignée de minutes lorsque nous arriverons dans le port chaotique d’Iquitos. Sans problème technique, notre bateau devrait partir sur le coup des 17h30. A la seconde condition bien sûr que celui-ci ai fait le plein de passagers. 

On loue un hamac qu’on accroche sur le pont supérieur, cinq heures avant le départ. Et il y a déjà du monde. En tout début d’après-midi, le vent se lève et le ciel se fâche. On tire des bâches pour protéger les passagers alors qu’à l’extérieur, un flux continu de transporteurs ne cesse d’engrosser le bateau de diverses marchandises.

Tout l’après-midi, des marchands de toute sorte font des allers et venues: eau, nourriture, hamacs, vaisselle, papier toilette, multi prises, médicaments, lunettes et outils de bricolage. On achète de tout, tout le temps.

A la mi-journée, c’est la cohue et les hamacs inondent maintenant le pont. Les passages transportent de tout : enfants, animaux, vélos et bien d’autres choses encore. Certains trimballent avec eux leur vie entière dans un petit sac de toile, un hamac et les habits qu’ils portent.

A notre droite voyage une femme qui trimballe un nouveau-né au sein et deux autres jeunes garçons qu’elle dirige d’un ton et d’une manière plutôt autoritaire. Tout ne doit pas toujours être rose le long du fleuve. Certains subissent peut-être la vie plus qu’ils ne la savourent. Et sans nul doute, le bateau est la seule option envisageable afin de rejoindre son village natal ou son lieu de travail.

De nos jours, les femmes indigènes portent des jeans leggings serrés et font des selfies depuis leur hamac. Les hommes portent un maillot de football et, du pont, observent l’Amazone comme leur propre jardin.

Tout s’éteint gentiment aux alentours de 22 heures… la musique, les ampoules, les enfants, les rives et ses mystères. 

3 juillet 

Il fait encore nuit noire lorsque le bateau effectue sa première halte à l’embarcadère de Nauta. Ça remue, les hamacs tremblent puis on se rendort mais pour pas longtemps. Le bateau est rythmé par le soleil. Le petit-déjeuner est servi à 6 heures, le dîner à 11h00 et le souper à 17h00. Ce sont les heures officielles. Mais, dès 4h30 du matin, une employée propose déjà à manger aux quelques passagers réveillés ou prêts à débarquer.

On quitte l’Amazone pour s’engouffrer dans la rivière Marañón et, très vite, les premières lumières brumeuses de l’Amazone traversent l’obscurité. Puis apparaît, tout au fond du paysage, un soleil pâle et doux, timide et orange, fantomatique et grenadine. 

La matinée est ponctuée d’arrêts : San Regis, Solterito, Catilla, etc. Les villages se succèdent et se ressemblent. On embarque plus qu’on débarque le long d’une simple planche reliant le bateau à la rive terreuse, faisant office d’embarcadère. La vie suit son cours. On passe le temps comme on peut, on observe les gens exister. N’est-ce pas le but existentiel du voyage après tout ?

4 juillet

Il fait froid, le ciel est plombé et la forêt a des allures spectrales. Puis, près d’un village où notre bateau s’arrête un court instant afin de décharger des marchandises, on aperçoit des dauphins roses au milieu des eaux boueuses. Voilà presque 36 heures que nous nous enfonçons dans la jungle qui, pourtant, reste encore bien mystérieuse. L’Amazone peut atteindre 4 kilomètres de large au Pérou et les deux autres rivières que nous empruntons durant cette traversée nous laissent également peu l’occasion d’observer les rives. 

On a récemment lu que la situation écologique était catastrophique du côté de Manaus. Et on se dit qu’une partie des déchets accumulés dans cette partie de l’Amazonie doivent bien arriver de quelque part. Enfants, parents et personnel de bord : chacune et chacun jette insensiblement ses déchets, plastique compris, dans la rivière.

Nous terminons sur le Rio Huallaga et, après quelques 42 heures de bateau, nous arrivons enfin à Lagunas peu avant midi, avec 4 heures de retard.

5 juillet 

Après une nuit à Lagunas, un grand village indigène qui transpire la sérénité, nous gagnons la réserve de Pacaya Samiria que nous traverserons en pirogue durant les trois prochains jours. Notre guide se nomme Jacinto et a vécu toute sa vie ici. 

La rivière et les chemins de traverse que nous empruntons serpentent au milieu de la jungle et constituent un labyrinthe insondable. Très vite, nous observons toute une bande de singes écureuils en train de vivre leurs vies de tous les jours.

S’en suit une succession d’observation animale: des singes-écureuils, des capucins bruns, des paresseux, des dauphins gris, des dauphins roses, des perroquets, des aigles, un bébé anaconda d’un mètre et demi ainsi que des loutres géantes, ennemies jurées des caïmans et des serpents. 

La forêt humide est splendide et la faune et la flore sont au firmament. Le poumon de la planète, rien de comparable, un rêve.  On s’enfonce rapidement dans la jungle où des arbres de toutes les espèces et de toutes les tailles semblent flotter dans cette eau trouble, foyer des piranhas.

En fin d’après-midi, on gagne un refuge après 8 heures de pirogue. On s’est engagé pour un tour de 3 jours alors que les plus téméraires en font 15. La réserve de Pacara Samiria couvre plus de 2 millions d’hectares et abrite 130 types de mammifères, 330 d’oiseaux et un nombre incalculable de reptiles et d’amphibiens. 

Notre guide cuisine du poisson à la braise, on mange à la lumière d’une bougie et on reprend vite notre pirogue à la recherche de crocodiles. Dans une nuit noire et épaisse, le guide rame doucement et silencieusement, une lampe de poche fixée à sa casquette. Sa lumière balaie l’horizon, des yeux jaunes se dessinent puis disparaissent dans les ténèbres aquatiques. Impressionnant et effrayant à la fois. Nous finissons par embarquer un bébé à bord, que nous relâchons presque aussitôt.

Il est alors temps de rejoindre notre chambre, ou plus précisément notre moustiquaire pendue entre deux poteaux, pour entamer une nuit de sommeil bien méritée, rythmée par les chants incessants des animaux de la jungle.

6 juillet 

Le matin, nous commençons la journée par une marche en forêt, suivie d’une partie de pêche. Mais n’est pas pêcheur qui veut et faisons chou blanc ou presque.  

L’après-midi, il est temps de rebrousser chemin et atteignons en fin d’après-midi un autre refuge. En cours de route, nous empruntons systématiquement tous les raccourcis que le niveau de l’eau nous permet encore d’emprunter, sachant que chacun d’eux nous fait gagner plusieurs dizaines de minutes. Comme les bouchons d’une grande métropole, le niveau de l’eau ici contrôle le temps de voyage. On fait avec, tributaire des pluies.

On contrôle une dernière fois les stocks sur la pirogue. Il nous reste suffisamment d’eau potable et de nourriture jusqu’à la fin de notre tour. Au pire, Jacinto pêchera un poisson pour notre dernier repas.  

7 juillet

Il nous faut maintenant regagner les portes de la réserve. Nous partons en début de matinée car il nous faudra environ 8 heures pour y arriver. En chemin, nous observons encore quelques singes et, progressivement, nous sortons de ce jardin d’Eden.

Il est nécessaire, il est indispensable… non il est vital que cet écosystème survive à tout cancer humain. Cet endroit, comme beaucoup de forêts sur notre planète, est un véritable havre de paix. C’est le paradis, c’est la communion avec la terre et avec le ciel. Mais c’est aussi l’équilibre, la fragilité, la sensibilité. La réserve de Pacaya Samiria, c’est la vie.